Le vélo Made in France a le vent en poupe

Le tissu industriel hexagonal est porté par la hausse de la demande de vélos. Mais une pénurie en composants complique la donne.

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Le vélo Made in France a le vent en poupe
La Manufacture française du cycle assemble plus de 400 000 vélos par an, dont un quart de VAE, sur son site de Machecoul. Soit la moitié de la production hexagonale de cycles.

Installé à quelques minutes de Lyon, dans la commune de Genas (Rhône), Baptiste Fullen peine encore à y croire. « Avant la naissance d’Eovolt, nous avons mené une enquête auprès de revendeurs pour estimer le nombre de vélos électriques pliants qu’ils pensaient vendre par an. Ils évoquaient alors des volumes compris entre 5 et 25 unités. Au déconfinement, certains magasins nous en ont commandés 150 dans le mois ! », s’étonne le cofondateur de cette jeune pousse, qui conçoit et assemble depuis 2018 des vélos à assistance électrique (VAE) pliants.

Et pour cause. À peine sortis du confinement, les Français se sont rués dans les rayons cycle des magasins, physiques ou virtuels. Sur les trois dernières semaines de mai 2020, les ventes de vélos et accessoires ont bondi de plus de 110 % dans l’Hexagone, selon l’Union Sport & Cycle (USC). Avec une mention spéciale pour les VAE. « Ce segment a connu la plus forte croissance chez nous, suivi de près par les VTT et les vélos junior », confirme Romain Gardelle, chargé du développement du marché du cycle chez le distributeur Intersport.

Un engouement porté par le risque sanitaire

L’engouement pour la petite reine, et surtout ses versions électriques, n’est pas nouveau. Mais les planètes se sont plus que jamais alignées dans le ciel du biclou. « L’année 2020 a été riche sur de nombreux plans, avec la multiplication des “coronapistes”, des évolutions technologiques dans les produits et les aides à l’achat, dont les montants sont en hausse », évoque Gwendal Caraboeuf, consultant pour le cabinet Inddigo. Face au risque sanitaire, le vélo est aussi devenu un moyen de distanciation sociale pour des citadins inquiets à l’idée d’emprunter les transports en commun.

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Un cas d’usage idéal pour les VAE. Bilan : « En France, leurs ventes de VAE devraient atteindre le million d’unités d’ici trois à quatre ans », prévoit Virgile Caillet, le délégué général de l’USC. À titre de comparaison, 388 000 exemplaires ont été vendus en 2019 – soit 15 % du total des ventes de vélos dans le pays, mais 45 % en termes de valeur. À l’échelle de l’Europe, l’Association européenne des fabricants de vélos (EBMA) attend un marché des VAE à 16,5 millions d’unités en 2030, contre 3,5 millions en 2019.

Des opportunités que le tissu industriel tricolore n’aurait pu saisir sans la politique de défense commerciale de Bruxelles. Écrasées par la concurrence chinoise dans les années 1990, les entreprises européennes tirent la sonnette d’alarme. En 1993, la Commission adopte des lois antidumping face à la déferlante de vélos chinois, toujours reconduites depuis. Face aux tentatives de contournement de la Chine, des taxes s’appliquent peu à peu à d’autres pays, dont le Vietnam et la Malaisie.

Des décisions qui ont sauvé le secteur européen, insistent les porte-parole du secteur. « Les pays n’ayant pas adopté de lois antidumping, comme les États-Unis, n’ont plus d’industrie du vélo », déplore Moreno Fioravanti, le secrétaire général de l’EBMA. Forte de ce constat, Bruxelles protège aussi les VAE depuis 2019.

Une filière victime de son succès

Soutenus par l’Europe et une demande en plein essor, les sites français tournent à plein régime. À Machecoul (Loire-Atlantique), la colossale Manufacture française du cycle (MFC) assemble plus de 400 000 vélos par an, dont 100 000 VAE. Ils sont destinés à son propriétaire Intersport, à des grandes surfaces comme Leclerc ainsi qu’à des villes. À elle seule, l’usine représente environ la moitié de la production de cycles en France.

Notre rythme de croissance est de 15 % par an. D’ici à trois ans, nous devrions saturer nos capacités de production.

François Lucas, PDG d’Arcade Cycles

Aux portes de La-Roche-sur-Yon (Vendée), Arcade Cycles se concentre, lui, uniquement sur les vélos de location pour les entreprises et les collectivités. « Notre rythme de croissance est de 15 % par an. Depuis 2018, nous fonctionnons en deux équipes et devrions d’ici à trois ans saturer nos capacités de production. La question d’un investissement industriel va finir par se poser », estime François Lucas, le PDG de cette PME qui produit environ 50 000 vélos par an, dont la moitié de VAE. À Paris, Arcade Cycles a notamment bénéficié du marché des Velib’ électriques.

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De retour à Genas, les volumes de production d’Eovolt sont plus confidentiels. La start-up s’est toutefois fixée pour objectif d’assembler 2 400 VAE pliants par mois d’ici à trois ans dans son nouveau site, contre un niveau plafonné à 400 unités jusqu’alors.

Mais depuis la fin du premier confinement en 2020, la filière est littéralement victime du succès du vélo. Après un début d’année en demi-teinte, la hausse de la demande a été telle que les sites peinent à suivre le rythme. « Malgré le travail de tous, nous n’avons pas récupéré la production perdue lors de nos deux mois de fermeture », regrette David Jamin, le directeur général de MFC. La faute à des difficultés d’approvisionnement en composants.

Car si l’assemblage de vélo a pu être maintenu en France, la majorité des pièces détachées proviennent d’Asie, à l’image des cadres – même si quelques fleurons comme Mavic, Mach 1 et Corima restent présents sur le territoire. Or, même en tournant au maximum de leurs capacités, impossible pour les fournisseurs asiatiques de répondre à cet afflux inédit et mondial de commandes. Conséquence, les délais de livraison ont explosé. Les clients vont devoir faire preuve de patience. « Certaines marques nous annoncent un retour à la normale au deuxième semestre 2021, mais d’autres tablent déjà sur 2022 », observe Gary Anssens, le PDG d’Alltricks, géant français de la vente en ligne de vélos et d’articles de course.

Accélérer la relocalisation

Cette pénurie pourrait-elle inciter à relocaliser des composants ? Portés par un marché en hausse durable, de plus en plus d’industriels tentent de rapprocher certaines activités. Illustration avec la start-up Angell, qui se félicite de produire les cadres de son premier VAE en France. « L’aluminium est produit dans le Sud-Ouest, les pièces collées en Bourgogne et la peinture réalisée en Rhône-Alpes », liste Jules Trecco, qui a cofondé la société avec le créateur de Meetic, Marc Simoncini. La start-up se fournit aussi dans l’Hexagone en cartes électroniques, selles, chaînes et garde-boue. « Mon rêve est de ne pas avoir à faire plus de trois heures d’avion pour maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur », déclare Jules Trecco. Les piles, moteurs et pédales restent toutefois importés d’Asie, puis assemblés chez SEB à Is-sur-Tille, en Côte-d’Or.

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Dans le cadre du retour d’une production de vélos mécaniques et électriques à Revin (Ardennes), les célèbres Cycles Mercier disent aussi vouloir nouer des partenariats locaux sur des composants. « La montée en puissance des VAE va aider à la relocalisation », espère Moreno Fioravanti.

Reste que pour l’heure, les mouvements les plus massifs s’observent plutôt chez nos voisins européens, comme au Portugal – premier assembleur de vélos, selon Eurostat, avec quasiment 3 millions d’unités en 2019 – ou dans les pays de l’Est, selon certains observateurs du secteur. Mais les spécialistes de la production de cycles en France n’ont pas dit leur dernier mot. 

La folie rétrofit

Dans l’automobile, de nombreuses start-up proposent de transformer des véhicules particuliers et utilitaires thermiques en modèles à batteries. Parmi elles, Retrofuture, Phoenix Mobility et Transition-One surfent sur la tendance. Mais ce n’est pas le seul domaine à céder aux sirènes du rétrofit. Le vélo aussi. La jeune pousse À Fond Gaston propose deux kits d’électrification, l’un à 790 euros, montage inclu, pour une autonomie de 40 kilomètres, l’autre à 1 090 euros pour une autonomie 100 kilomètres. Pour cela, l’entreprise dispose d’ateliers partenaires à Paris, Lyon, Bordeaux et Toulouse.

Une offre clé en main sur laquelle se place aussi Virvolt, qui fait la promesse de transformer un vélo mécanique en 72 heures. Dans sa prestation haut de gamme à 1 180 euros, cette start-up parisienne installe un moteur au niveau du pédalier, relié à une batterie. Des systèmes coûteux, mais qui restent inférieurs au prix moyen d’un vélo à assistance électrique acheté en France – 1 750 euros selon l’Union Sport & Cycle. En pleine conversion du parc de vélos à l’électrique, ces offres pourraient inciter les propriétaires réticents à l’idée d’abandonner leur bicyclette préférée à franchir, eux aussi, le cap.

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